Le prix est la charnière du positionnement produit : d'une part, le prix reflète le niveau de qualité perçu du produit. D'autre part, la demande est très sensible au prix (la fameuse "élasticité du prix").
Dans le monde de l'innovation où il n'y a pas forcément de références fortes, il est intéressant de considérer les différentes stratégies de fixation du prix. Je vous propose de partager dans les réponses ci-dessous vos pratiques et expériences sur le sujet : cela sera très utile à chacun pour inspirer la meilleure stratégie à adopter.
Dommage qu'il n'y ait pas encore de réponses à cette question :(
Je vais donc donner l'exemple en expliquant comment j'ai fixé les prix des programmes d'accélération Seedtrack et Launchtrack de Strategy4startup.
Désolé, ça va être un peu long...
Le contexte : nous sommes en 2012, voici une douzaine d'année que j'aidais les entrepreneurs à construire et valider leur stratégie via des missions de conseil traditionnelles, facturées en général au forfait, souvent entre 8.000€ et 12.000€ ht.
Ces prix peuvent sembler élevés aujourd'hui (en 2018) mais cette offre se vendait bien : d'une part mon expérience et ma méthodologie étaient pertinentes et plutôt rares, d'autre part il existait des aides publiques qui finançaient une bonne partie de ces missions.
Je notais toutefois que les actes de vente étaient de plus en plus compliqués : les bénéfices de l'offre étaient toujours bien perçus, mais d'une part les aides publiques se raréfiaient, et d'autre part une pseudo-concurrence apparaissait sous la forme de "méthodes miracles" issues d'une méthodologie Lean Startup mal comprise, où nombre d'entrepreneurs pensaient que la stratégie consistait à développer rapidement un premier produit (MVP) et à prendre en compte les retours (forcément nombreux) du marché qui allaient (forcément) nous conduire à une business model très rentable.
Et quand les entrepreneurs se rendaient compte que ce n'était pas si facile, ils n'avaient plus ni budget ni énergie pour reconsidérer leur stratégie.
J'ai donc anticipé une généralisation de cette tendance (qui s'est confirmée depuis) et qui risquait de rendre mes services caduques très rapidement.
Etant par ailleurs plongé dans le World Wide Web depuis 1995 (17 ans plus tôt), il m'est apparu naturel de me tourner vers les technologies digitales pour :
- Apporter une valeur encore plus importante à mes clients que mes services de conseil traditionnels.
- Abaisser considérablement leur coût de production de façon à diminuer considérablement leur prix de vente, tout en continuant à générer de la marge.
J'ai d'abord cherché le bon prix de vente pour mes services. Ne pouvant "digitaliser" un panel de services très large, j'ai d'abord examiné parmi la centaine de missions menées en 12 ans à quels segments je m'adressais. En simplifiant (c'est nécessaire dans ce genre d'analyse), il est ressorti trois segments :
- Les deux tiers de mes clients étaient des startups naissantes :
- Une partie d'entre elles étaient au tout début de leur projet. La société n'était en général pas créée, l'offre innovante n'existait pas vraiment, il s'agissait plutôt d'une idée d'innovation issue d'un savoir-faire technologique ou métier existant. Il s'agissait pour eux de valider que cette idée pouvait être un bon sujet de création en validant a priori un marché cible (une bonne opportunité de marché).
- L'autre partie avaient un début d'offre innovante, une société créée ou sur le point de l'être, et il s'agissait pour eux de faire la preuve de concept business de cette innovation (en la commercialisant rapidement) sur une hypothèse de marché cible, et de développer un premier chiffre d'affaires significatif (quelques centaines de K€).
- Et un tiers de mes clients étaient des startups ou PME innovantes un peu "scotchées" sur leur marché depuis de nombreux mois (voire années), avec un chiffre d'affaires stagnant autour du million d'euros, ne sachant pas comment décoller de ce palier, que j'aidais à se repositionner avec une stratégie visant 5M€ à 10M€ en quelques années.
Une possibilité aurait été de me focaliser sur ce troisième segment, ces sociétés ayant toujours les moyens de s'offrir des services de conseil à 10.000€, face à une situation préoccupante pour elles.
Toutefois, et conformément à ma méthodologie, j'ai analysé que ces cibles n'avaient pas le besoin le plus fort : d'une part ce besoin n'était pas urgent (elles n'étaient pas en danger imminent et le cycle de vente pouvait d'ailleurs être très long), d'autre part beaucoup d'alternatives à mes services se proposaient à elles : de nombreux consultants, des sociétés de conseil réputées qui commençaient à maîtriser un langage moderne et attirant (Lean Startup, Customer Development, Business Model Canvas...), des entrepreneurs de première génération qui avaient vécus une première expérience startup et se proposaient pour une deuxième expérience comme salariés ou associés, etc.
En revanche, le besoin était très fort sur les deux premiers segments (les startups naissantes, en incubation ou en amorçage). Peu ou pas d'alternatives, à part la littérature (gratuite) et quelques séminaires (gratuits ou payants) sur le Lean Startup, Customer Development ou Business Model Canvas.
Donc première étape avant de parler du prix (qui est un élément du Positionnement Produit) : clarifier son Positionnement Marché. J'allais donc me concentrer sur les startups naissantes (les deux premiers segments) où le besoin était fort et les alternatives quasi-inexistantes.
Deuxième étape : j'ai analysé, via ma propre connaissance du marché et via des interviews, le prix objectif qu'il serait raisonnable de pratiquer. Selon la maturité des projets, la fourchette raisonnable allait de 2.000€ à 3.500€ ht.
[Remarque importante : pour obtenir ce genre d'information de façon fiable, il ne suffit pas de poser la question "Combien payeriez-vous pour tel service...". Les réponses que vous obtiendriez seraient fantaisistes, et nombre d'entre-elles tendrait probablement vers 0 ! Il vous faut utiliser une démarche structurée d'interviews sur des hypothèses de valeur bien construites, comme celle utilisée dans les programmes Seedtrack et Launchtrack.]
A ce point, la question était donc : comment proposer pour 2.000€ à 3.500€ un service d'une valeur égale ou supérieure aux services proposés jusqu'à présent 3 à 6 fois plus chers !?
C'est en cherchant des réponses à cette question que j'ai construit la plateforme Strategy4startup et ses programmes Seedtrack et Launchtrack : j'ai développé une offre dont le coût de production, grâce aux technologies digitales, permet de mener de façon rentable des mission d'accompagnement dans la fourchette de prix visée. A noter qu'il m'a fallu 2 ans de développement pour proposer les premiers programmes Launchtrack en 2014 puis Seedtrack en 2015.
Mais après plus de cinquante programmes vendus et exécuté les trois premières années, le résultat a été à la hauteur des espérances : à la fois la valeur délivrée, le prix objectif et la rentabilité ont été tenus !
Pour conclure sur le sujet de cette longue réponse, que j'espère toutefois utile et inspirante : ma démarche a été d'abord de comprendre quelle offre apporterait beaucoup de valeur à quelles cibles, puis à faire et à valider des hypothèses de positionnement et de prix acceptable, avant de construire "un outil de production" permettant d'atteindre cette valeur et ce prix objectif.
A noter enfin que cette démarche n'est pas innovante en soi : toutes proportions gardées, Henry Ford a procédé de la même façon quand il a révolutionné l'industrie automobile en concevant et produisant les Fort T : il a imaginé une produit et une méthode de production (le Taylorisme) permettant d'atteindre le prix de vente objectif d'un véhicule automobile accessible à tous.